Sous les arbres en feuilles, quelques dizaines de personnes manifestent. Ils ne veulent pas que leurs arbres soient abattus sur la plaine de Plainpalais. Faut dire que cette saloperie moderne qui consiste à trancher fin de pauvres hères branchus est une vraie boucherie. Mais la ville a un argument imparable, on coupe les vieux arbres puis nous en plantons des tous neufs.

Des tous jeunes fringants, des tous égaux, à la coupe en brosse réglementaire, les branches bien dégagées, le regard vif et bien vert. La ville, elle, se fout pas mal, des générations de petits moineaux qui s’y sont succédés et qui y nichent encore. Rien à foutre non plus des chiens qui y ont leurs habitudes. Rien à foutre de rien. Oh. Et puis les vieux branchus, ça ronchonnent, ça ne cassent rien. Voyez-vous, pour ces gens-là, ces élus de la ville, la vie est très simple. Tiens, ces arbres ne sont-ils pas trop vieux pour notre moderne vision ? Coupons les et mettons des nouveaux , des tendances, des branchés. Ah, qu’entendons-nous ? Des citoyens dressent barricade pour sauver ces vieux rabougris. On s’oppose à notre municipale volonté. Cela annonce cette nouvelle ère, dehors les vieux, place aux jeunes gens. Bon, l’avantage avec les vieux arbres, ils sont assoupis, alors, hop, un coup de tronçonneuse vite fait bien fait et ils sont débités en bois de chauffage et on en parle plus. Il est vrai qu’ils font de l’ombre à notre conseil de la ville. Ils sont des témoins de la mise en désert de la Plaine. Il faut la rentabiliser cette Plaine. Actuellement, il y a un énorme étron marron en son milieu. Un truc gigantesque et des petites crottes autours. Un spectacle fort cher où des chevaux travaillent pour pas un sou. Enfin, un peu d’avoine et un peu d’eau. Mais il y a des cavaliers dessus et eux, ils ne mangent que du blé ! Cette plaine, c’est comme une immense cicatrice ouverte, au sang séché en caillots, un no man’s land sans âme, sans herbe, allez donc vous asseoir en son milieu. C’est un vide hideux où il faut rester debout. Issue sûrement, cette nouvelle plaine, d’un cerveau aussi vide que la bouteille qu’il doit boire pour avoir des idées aussi riches de rien. Moi, je ne suis pas sûr que de nouveaux jeunes arbres tiennent le coup. Ils sont de plus en plus asmathiques et toute cette pollution ne va pas les aider à grandir. Nos vieux branchus, eux, sont vaccinés depuis longtemps. Ils arrivent à être majestueux malgré les soucis, le bruit, la fumée des bagnoles. Et pourtant, quel poumon vigoureux, quelle fraîcheur sous leurs feuilles par millions. Bon, il y aurait un sursis de décrété, preuve qu’une manifestation en coup de gueule bon enfant, ça marche. Pas à tous les coups, certes. D’autres arbres vénérables n’ont pas eu cette chance. Que penser d’une civilisation qui croit avancer parce qu’elle bousille des arbres, des oiseaux, un art de vivre. Et dire que ces arbres tronçonnés ont peut-être été transformés en bulletin de vote qui ont élus leurs propres arracheurs. Comme quoi, souvent, quand les citoyens ne sont pas là, les tronçonneurs dansent.