Enfin, le printemps semble vouloir se rappeler à notre bon souvenir. La lumière nous manque, pour nous, simples rats des villes. Bien sûr, nous aurions pu chausser quelques planches et nous lancer, élancés, en descente vertigineuse sur une blanche piste et faire comme poux sauteurs sur une tête de vieillard chenu. Oui, nous aurions pu. Mais, nous n’avons pas voulu laisser notre ville, seule, triste, grise.

Et pleine de silence après minuit, car sinon, les carrosses des terrasses animées se transformeront en citrouilles mortifères. Oyez, oyez, braves gens, il est minuit, vous pouvez dormir. Nous pensons quand même que tous ces gens qui dorment font beaucoup de bruit, ils ont, comment dire, la solitude bruyante pour réclamer la convivialité silencieuse. Ils ont l’oubli de leur jeunesse ou bien le regret de cette jeunesse sans joie, peut-être. Alors ils veulent bâillonner les jeunes garçons, les jeunes filles d’aujourd’hui, comme si un mouchoir pouvait cacher les envies rieuses, débordantes, bouillonnantes de cette jeunesse, envies qui ne durent que le temps d’une liberté enviable et brouillonne. Alors que faire, entre la soif de vivre et la satiété de dormir ? Que vivre entre le bruit et le silence, entre la libation et la télévision, entre la trépidance de l’éphémère et la jouissance de son bien, entre l’insouciance nombreuse et le dû identifié. Est-ce réconciliable ? Bien sûr, le ying et le yang, l’équilibre précaire de toute vie en ville. Ou alors faut-il une ville toute de vie exclue? Une ville dortoir, une ville dormoir, une ville armoire, une ville déambulatoire. Et la jeunesse parquée au milieu des champs, à ‘ée de la ville, à l’interdit de la ville. Faire des terrasses en ville des squelettes de vie nocturne et après minuit les rats quitteront le fleuve bitumeux pour rentrer en ordre stricte… mais rentre où ? Faire les rats des champs ? Cette belle jeunesse qui étudie durement, qui travaille difficilement, qui vit une vie au futur aléatoire, cette jeunesse doit pouvoir s’amuser sur des trottoirs qui leur appartiennent autant qu’aux autres, autant qu’à vous. Alors évidemment qu’ils vont faire un effort pour être moins perturbant, moins gênant. Et vous, aux pétitions anonymes, êtes-vous prêts à accepter quelques dérapages forcément imprévisibles ? Pensez-vous réellement que cette jeunesse s’amuse à vos dépens, s’amuse uniquement pour vous ennuyer ? Oui elle boit, parfois un peu trop mais qui pourrait leur jeter la pierre ? Oui, à sa manière elle participe à la vie sociale de la cité, elle procure du travail dont peut-être le vôtre. Oui un jour, quand cette jeunesse tumultueuse sera rentrée dans la vie rangée, elle participera sans doute à payer votre retraite méritée. Mais d’autres arriveront sur ces maudites terrasses c’est une chaîne sans fin, me direz-vous. Vous avez raison, c’est même ce qu’on appelle la vie.