Je me rappelle que je ne me souviens guère de la Plaine telle qu’elle était avant de rougir comme une jouvencelle sous ses habits neufs. Je crois qu’elle ressemblait à un vieux lutteur de foire, aux poils rares et graisseux avec de larges cicatrices qui lui barraient la poitrine.

Ou, à un rivage pollué des milles détritus qui rythment nos existences de bons citadins.

On ne s’offre plus de fleurs mais des canettes de bière, on ne mange plus de sandwiches enrobés de papier mais des éponges qui se veulent goûtteuses, enplastiquées dans des trucs qu’on met plus de temps à ouvrir qu’a baffrer ce qui s’y trouve. Et les contenants d’alu et autre imputrescibles se répandent par terre sous l’œil guoguenard des poubelles toutes gueules ouvertes mais affamées. Donc, notre nouvelle Plaine prend forme, toute plate en son ensemble, toute plane en sa volonté de bien paraître. Les gens qu’ils soient un ou deux ou plus en sont les reliefs et leurs ombres qu’elles s’agrandissent ou qu’elles rapetissent créent l’illusion du mouvement.

Quelques arbres sont enchaînés afin qu’ils ne s’échappent pas d’une telle condition si misérables. Point d’odeur de sous-bois humide d’un automne généreux, point de champignons autours de leurs troncs, point de bécasses nichées dans leurs feuilles tombées. Non, des petits murs de béton les entourent sur lesquels les nouveaux poètes urbains gueulent des strophes décousues de mots sensés et leur dégueulent dessus en toute oraison. Quelques murs en forme de banc troués à la base par les rats qui ont fui les bords de l’Arve. Font se gâter les dents s’ils manges que de pré digéré, les gaspards. Quelques arbres comme points d’exclamations qui sont la risée des oiseaux. Et puis, il y a les chiens. Ils sont tels des jouets fous. Ils courent, ils courent puis brusquement tournent sur eux même et s’acroupissent. Ils lâchent alors, une grosse pile usagée en forme de petit serpent qui dort. Ne regardez jamais un chien qui chie, vous l’embarrassez. Il a le regard gêné de l’enfant nu à qui on dénie son intimité. Se sont souvent de gras chiens. Ou bien tout petit. Ou bien tout moche. Ou bien tout beau. L’un, un vieux labrador, lent, penaud d’avoir fait une bétise, une bétise de chien sans doute mais qui ne convient pas à son seigneur et maître prend une grand claque sur son vieux museau de vieux chien. On ne frappe pas un chien et encore moins avec la main qui caresse. Mais peut être sa pauvre vieille vie de vieux chien n’a t’elle connu que des claques. Y a pas de suicide chez les chiens. Y a que bonté et remerciement. Tiens en voilà un autre… A suivre.

Jean-Yves Le Garrec