Pérégrinations désunies autour des arbres de Genève qui se couvrent d’oiseaux heureux du nouveau soleil dans son bleu de chauffe. Sur les branches juvéniles percent des bourgeons, crise d’acné printanière et déjà, en une nuit, se défroissent au petit matin, des feuilles tendres et toutes étonnées de se voir dans la rosée. Elles sont bien timides et surtout abasourdies par le bruit des voitures. Elles toussent un peu aussi et pressentent l’enfer enfumé qui leur servira d’environnement. Elles sont vaillantes et se hâtent de couvrir la crasse noire qui recouvrent les branches de ces arbres citadins. Nos villes ont cette impérieuse nécessité d’offrir cette longue agonie arbrée aux citoyens et à leurs chiens pisseurs. Témoins muets de toutes nos dérives. De feuilles nervurées à feuilles nerveuses d’une écriture des villes toute de psychoses, de l’ombre fraîche à la nuit glaciale, de la joie apaisante à l’ennui profond, de la beauté simple à la laideur calculée, des feuilles d’un été aux feuilles qui se veulent éternelles, les unes reviendront, les autres disparaîtront. Feuilles qui se défroissent comme des petits livres mal réveillés qui s’étirent jusqu’au ciel y puiser un peu de chaleur et de compréhension. Les ombres sont encore bien pâles. Elles traînent leur ennui le long des murs de la ville puis l’une d’elle s’accroche à une jeune femme pour ne plus la quitter de tout l’été. J’aime les premiers beaux jours, les femmes s’épanouissent, débarassées de leur chrysalide doudounée, elles deviennent papillons et des trottoirs engourdis, s’envolent comme mille soleils. Et pourtant je n’aime pas le verbe s’envoler, il est boiteux comme un ange estropié ou une cigogne qui tournerait en rond pour toujours revenir au même endroit. Jadis les cigogne étaient noires et blanches, de nos jours, elles sont noires et grises. Et nos cigognes à nous, ces longs suppositoires avec des ailes, laissent de longues traces, elles encagent notre ciel. Remarquez, quand ils disparaissent, plus de traces, seulement quelques lignes dans les journaux. Maintenant que nous savons que chaque écrit a un lecteur, chaque parole a une oreille, quelqu’un, inconnu, au fond d’un bunker, n’en perd pas une miette. Merci à toi, oh, anonyme ! Je me sens moins seul, car je sais que tu es là. Toi qui épies, dissèques, ponds des rapports que personne ne lira, sauf un autre inconnu de toi et cela sans fin, ni fond. Même pas peur, homme de grisaille qui se fond dans le béton, ombre de ton ombre, es-tu homme ou crépis ? D’ailleurs nous croyons plus aux petits bonshommes verts qu’aux petits bonshommes gris. Et puis, si les cigognes sont devenues grises des fumées, toi tu es sale. Tu est les oreilles des murs. Tu est crotte de nez, roulée en boule , des années durant collée sous le canapé. Vrai que maintenant nos portes sont blindées, fermées à triple tours. Et nos paroles se font l’écho d’elles mêmes, rien ne filtre derrière ses portes à multiples verrous. Mais nos fenêtres sont ouvertes, un peu, pas beaucoup. Nous dépensons tant pour récurer, assainir, nettoyer en profondeur et au delà, un peu d’air nous fait du bien. Cet air, ce bon air, dont nous apprenons qu’il est plus pourri que tout. Notre paradigme a changé, fini le temps utopique de construire des villes à la campagne, nous construisons des villes en ville. Nous mangeons la terre mais nous consommons bio. Du pas très loin avec une étiquette verte si c’est du vrai bio venu à pieds, ou à moitié verte si c’est du vrai bio venu en voiture, ou avec juste une pointe de vert si c’est du vrai bio venu en avion. La palme ‘ vert revient au vrai bio qui arrive en charrette à cheval. Mais de nos jours ces crottins disgracieux gênent la vue et ils puent. Moi je ne trouve pas. L’air que nous respirons, il ne pue pas mais il tue. Le crottin lui, ils poussent des champignons dessus, vous savez, les petits blancs, les champignons de Paris, mais c’était il y a longtemps, enfin, pas si longtemps.
A suivre…