Aucun idéal ne fut plus trahi qu’une révolution des peuples. Aucune révolution n’a vécu les idéaux pour lesquels les peuples se sont soulevés. Depuis 1789 et les sans-culottes, jusqu’à la révolution russe de 1917. Des révolutions sud américaines et africaines jusqu’aux différents printemps arabes. Sans oublier la longue marche ni les décolonisations sanglantes. Toutes ont accouché de dictatures sanguinaires, renvoyant les espoirs au fond d’un trou, les hommes au fond d’un cachot ou au fond de l’eau. Alors en 68, dans tous les pays du monde, la jeunesse s’est levée. La jeunesse est montée aux barricades pour faire bouger ce monde perclus de rhumatismes aux mains de gérontes qui se croyaient aussi immortels que le système qu’ils contrôlaient après l’avoir façonné. Nous avons fait la guerre qu’ils disaient, grâce à nous et à notre vaillance, vous vivez dans un monde en paix. Certes, mais une paix étouffante, épuisante, désespérante. Et puis, les espérances levées de 68 furent balayées par la génération de 68. La trahison ultime, par ceux là mêmes qui étaient dans la rue. Pourtant, il y eu un homme, au passé un peu trouble sans doute quand il était ministre sous Castro à Cuba, qui allait personnifier le combat contre l’impérialisme, le décervellement des masses, la dignité du sel de la terre, Che Guevara. Le Che. Le Che et son cigare photographié par René Burri, récemment décédé et dont nous saluons la mémoire. Le Che au visage mangé par sa barbe. La révolution des barbudos, des barbus, qui enflamma les jeunes européens et les poussérent à leurs côtés. Enfin, une juste cause, un combat politique poussé dans sa logique d’affrontement avec le capital. Certains firent le voyage, chose peu facile à l’époque. La plupart affichaient la photo du Che dans leurs chambres, comme un signe de défi à la famille, puis dans la rue, comme un drapeau rouge à visage, un Saint Suaire sacré mais laïque. Les barbus des sierras enflamaient les esprits. C’était la lutte finale pour des lendemains qui chantent. Las…
La jeunesse a changé de paradigme. Elle suit toujours des barbus, mais ce ne sont plus les mêmes. Des milliers de jeunes européens, américains, canadiens, australiens vont grossir les rangs de ces nouveaux barbus, les voyages sont plus faciles maintenant. Des barbus qui se soucient comme de leurs premières babouches, de tuer, de mutiler, de lapider. Mélange sanguinaire et dramatique des einsatzgruppen et des pieds nikelés. Ce n’est plus une révolution, c’est une régression, de l’âge des lumières à l’obscurantisme.
La jeunesse a changé de paradigme pour le pire. Le plus mauvais choix, celui qui flatte les plus sombres instincts de l’homme. Cette jeunesse se lance à corps perdu dans un combat qui n’est pas le sien, qui n’est celui de personne de sensé, qui ne débouchera jamais sur un lendemain qui chante. Bien sûr l’exaltation, la griserie du combat, l’odeur de la poudre, tuer pour une cause qui semble juste. Mais les tueries de masse, les viols, l’enfouissement des femmes, est-ce cela, une juste cause ? Il est loin le temps des fleurs et même celui des cerises. Mais comme l’écrivait Anatole France, les Dieux ont soif.
Jean-Yves Le Garrec