Dans un de ses films, dont j’ai oublié le nom, Charlot faisait la danse des petits pains et c’était un prodige de grâce et de précision. Bien avant lui, Jésus, lui, multiplia les pains. Et puis, quand le printemps sera de retours, nous assisterons à la danse des petits lapins dans les champs. Mais en ces premiers jours de l’an nouveau, dans nos rues, sous un soleil étonné d’être encore là à distribuer un peu de chaleur et de jolis matins roses, c’est à un tout autre spectacle auquel nous assistons, l’agonie des sapins. La lente et muette agonie des petits sapins. J’en ai vu un, se traîner, misérable, au pied d’un arbre, comme s’il cherchait une quelquonque protection. Un autre, bien droit, qui ne bougeait pas et pour cause, son pied clouté grossièrement sur une croix de bois.
Un, qui vomissait dans le caniveau des restes de guirlandes argentées, tendait ses branches tel un nain lancé, pathétique. D’autres encore, sont regroupés autour des poubelles, ils se racontent de beaux souvenirs lumineux, les promesses faîtes quand de la forêt ils furent tronçonnés, vous allez voir du pays, vous serez placés dans de gentilles familles et décorés comme des rois, vous allez vivre un conte de fée. Et c’est à celui qui aura le plus bel enfant, les plus beaux cris d’émerveillement, des boules de toutes les couleurs, des étoiles, de la fausse neige, des petites lumières multicolores. Et nos petits sapins s’imaginent grand-mère, nounou puis d’être, oh vertige ! le centre du monde en fête, immortels… Quelques jours en habit du dimanche et hop, à la porte, à poil, tirés par les cheveux, descendus marche par marche sur le cul, sans ménagement et jetés à la rue. Et puis le grand camion mangeur de sapins est arrivé, de ces bouts d’arbres dont le seul tort fut d’être le rêve incarné, la promesse de beaux cadeaux, de rires et de papiers froissés, de ces bouts d’arbres ne restera qu’une infâme bouillie monocolore triste et puante.