Marché de Rive, marché de Carouge, marché de Plainpalais, marché aux Puces, voilà des marchés fruits et légumes, de vieilleries, de petites restaurations exotiques, de brocante, de viande et de poissons, marchés de cette petite économie non côtée en bourse et dont les actions sont 3 carottes et 1 poireau pour faire la soupe. Oh, bien sur, ces actions achetées au cour du jour ne se valoriseront jamais ou alors avec une noix de beurre que vous aurez négociée au prix de détail. Et votre soupe, comme valeur ajoutée, descendra toujours… dans votre ventre. Libre à vous que vos actions légumières se transforment en actions pourries mais quel dommage !
Nous jetons déjà tant de nourriture saine et certaines bonnes âmes crient au scandale alors que des millions et des millions et encore quelques millions hurlent famine. Bien sûr nous ne sommes pas de bois et cela nous interpelle, entre la poire et le fromage, ces images à la télévision. Vrai, c’est dérangeant ces journalistes gras-nourris et ces humanitaires aux dents si blanches qui nous font la leçon. Du coup, en vidant les restes d’une assiette dans la poubelle, on hésite, on s’imagine quelques secondes en super sauveur de la planète, puis on balance le tout car le film commence et les pubs semées comme des petits cailloux nous raménent vers le droit chemin de la consommation. Une fois partis les gros camions frigos de ces marchés, ils ne restent que des étals, légumes, fruits, tous issus du jardin famillial ou d’exploitations de proximité. Remarquez que la proximité est parfois la banlieue de Madrid ou de Palerme… Mais nous en reparlerons.
Les légumes artisanaux, les vrais, sont tous terreux avec souvent une belle gueule de baroudeur. Ils sont là, en vrac, en tas, en monticules, en molards, sans se soucier de leur apparence. En tenue délavée, des fanes hirsutes. Certains, qui s’appellent les légumes oubliés ressemblent à ces poissons des grandes profondeurs, qui remonteraient à la surface de la terre. Ils sont en couleurs improbables, des violets profonds, des jaunes cireux, des verts tigrés, des rouges roses, des oranges en soleil couchant. D’autres ont la peau dure, épaisse, toute grêlée. Ils sont bizarres, sans forme définie, ils partent dans tous les sens comme des éclopés des jardins. Ah, bien sur, ils ne ressemblent pas à ces armées de légumes calibrés, bien polis, d’une même couleur, bien serrés dans leurs caisses. Ni à ceux qui, dans les grands magasins, sont en barquettes encélophanées, se prennent pour des légumes, ne sont que des imitateurs, sans saveur ni odeur, ni cœur, ni bonheur. Légumes qui poussent comme poulets en bateries, nourris par des machines, ramassés par des machines, cous tranchés par des machines, plumés ou pelés par des machines, découpés, pesés, emballés, vendus, cuisinés mangés, chiés et au suivant, au suivant. Nous n’avons plus le temps du beau, du bon, du non standardisé. A vrai dire ce n’est pas de cela dont je voulais vous entretenir mais d’une réflexion d’un maraîcher récoltant. Ses légumes ont une odeur qui ne trompent pas et cette âme des légumes bien nés et élevés avec amour, avec des mains et un arrosoir. Regardez les mains de ceux qui vendent les légumes et fruits et vous savez tout de suite celles qui travaillent la terre et suivent les saisons. Ce sont de belles mains façonnées, aux sillons de pluie, aux doigts forts et souvent aussi tordus que leurs légumes. Et puis écoutez ce paysan vendeur, il ne se plaint jamais, il s’adapte. Parce que je lui fais la remarque de quelques barquettes de fraises, incongrues, hors saison et venus de si loin, d’au dela des mers et des océans, il me répond, ben, oui, je sais mais si je n’en ai pas, personne ne s’arrête pour acheter les autres produits, c’est drôle mais c’est comme ça. Les gens veulent manger de tout tout le temps, des fraises sans saveur, des tomates comme des ballons rouges pleines d’eau. Et de sucrer en abondance les fraises pour leur donner un semblant de goût de fraise et de saler, trop, les tomates pour un peu de saveur. En fin de compte les gens s’empiffrent de sucre et de sel. Ce qui déforme la notion du goût et cercle vicieux nous perdons notre sens gustatif ce qui nous fait rajouter plus de sucre ect. Et puis, vous savez ceux qui gueulent le plus contre ces produits venus de loin, bilan carbone nuisible, ils en achêtent en douce ou partent plusieurs fois par année, en longs voyages par avion pour les plages si blanches.
Balade des légumes du temps jadis, perdre son temps à les regarder, les toucher, les humer. Souvenirs de mon enfance quand je ramassais des carottes dans les jardins, des framboises ou des fraises. Quand je volais des cerises sur l’arbre et quelques salades terreuses. Et les oranges en hiver, dans leurs papiers, papier roulé en cylindre posé debout sur l’assiette, on y mettait le feu à la base et il s’envolait en cendres, comme un monde perdu, dans le ciel de nos cuisines.
Mais nous reviendrons nous promener aux marchés de Genève qui deviennent des arrières cuisines des plats de tous les pays et ça c’est vraiment super, ces petits restaurants en plein air aux accents colorés.