L’arrivé du cirque Knie sur la plaine du Plainpalais, et ses histoires du monde…

Et sur la Plaine, vient s’installer le grand chapiteau. De ce cirque qui arbore un nom de sourire forcé de clown. Kniiiiiiiiee, de toutes ses dents pour le photographe. Accompagné de son antique ménagerie aux animaux usagés qui traînent un spleen de citadins blasés.

Revenus de tout et de rien, ils n’ont même pas ce regard lointin des souvenirs d’une quelconque savane. Ils jettent des soupirs d’indifférence hautaine aux enfants de voir leurs dessins animés prendre du relief et bouger pour de vrai. Sauvegarder des espèces menacées est une belle cause, en faire des choses robotisées pour épater le chaland en est un autre.

J’y ai rencontré un vieux lama. Pas celui qui plane en sandalettes et robe safram, non, non un vrai lama en sabots et costume de laine. Un deux pièces râpe, mité. Il tend sa tête au delà des sinistres transparences grillagées pour humer l’air de la ville, le parfum des femmes et il la secoue violemment en grossiers jourons quands des menstrues s’epanchent au fond d’une culotte soyeuse. Il s’appelle Pablo. Du moins, m’a t’il confié, de son nom de baptême, d’un autre nom pour le cirque. Un fils d’émigré mais né en Suisse. Dont le papa et la mama, sans trop le vouloir, étaient arrivés directement des hauts plateaux péruviens avec un permis de travail pour faire l’exotique. Au moins cela leur payait la bouffe parce que, pour ce qui était du logement, cela laissait à désirer. Pablo fit toute son école de cirque en Suisse, appris a parler suisse allemand, français, italien, mais pas espagnol. Il me montra un jour son permis C qu’il pensait échanger contre un jolie passaport à croix blanche. Mias les votations sont passées par là et mon pote le lama Pablo, el attendra encore ou il paiera cher son sésame helvétique. Il s’en fout, il ne retournera jamais dans son pays qu’il ne connaît pas. Il crèvera comme il a vecu, en émigré, utile mais pas trop. Au moins au Paradis des animaux, il ne sera plus le cul entre deux chaises, y a pas toutes ces conneries là haut. Il raconte des drôles d’histoires, Pablo , en échange de tabac à chiquer. Plus discret qu’une cigarette qu’on lui a confisquée, sans, évidemment lui demander son avis.

Faut juste faire gaffe quand il crache sa chique, ce gros cochon. Il est un peu poète à ses longues heures si vides, si perdues à attendre la mort de son studio de 5 mètres carrés. Il est triste aussi. Parce que les amours des bêtes au pays des hommes, ce n’est pas vraiment ça. Question intimité, déjà … Et puis la jeune femelle qu’on lui avait imposéne resta que le temps de faire ce qu’ils avaient à faire. Et lui, Pablo, il n’avait pas signé un acte d’abandon de naissance.

Jamais il ne vit le fruit de sus amours. Mais c’était il y a longtemps, alors il a tout oublié, tout juste s’il se rapelle qu’il est Lama. La faute au tabac, sans doute. J’aime bien Pablo, il en veut à personne, c’est juste sa vie qu’est comme ça.

Yean-Yves Le Garrec