Et voilà, en début de printemps, je rafraîchissais mes os au jour déclinant. Je me prenais pour le Bouddha languissant à méditer sur ma destinée. J’avais invité le printemps à s’asseoir sur mon banc mais il était tout occupé à faire bourgeonner les arbres et n’avait point le temps de la causette.

Et puis, soyons juste, même assis en tailleur, les doigts en cul de poule sur les genoux, je n’ai rien d’un œuf qui plane. Plutôt, un bulot mayonnaisant et pester sur mon destin. Assis au Jardin Anglais, face aux marchands des temps nouveaux, des temples récents. Nul ne peut ignorer qui fait quoi, qui vend quoi. Tout est écris sur les murs, en grosses lettres de couleur. La nuit, le feu de ces lettres lance des serpents électriques qui traversent le lac. Ils ondulent d’une rive à l’autre sans jamais se mélanger. Ils forment parfois sur le jet d’eau triomphant un arc en ciel tremblant. C’est alors une féerie de milliers de gouttes rouges, vertes, jaunes, bleues qui s’éparpillent, minuscules papillons, au gré du vent. Tandis que sur les toits des immeubles en bordure, de grosses enseignes marquent le ciel au fer blanc. Triste ciel qui, sous cet assaut furieux devient invisible. Pauvre ciel qui, chaque soir aimerait faire admirer son beau costume à paillettes. Malheureux ciel fade, dont l’aplat n’apaise pas nos âmes tant sollicitées. Nostalgique ciel dont on perçoit, parfois, des loques qui traînent misérablement entre deux réverbères, entre rêves barbares. Et quelques rares étoiles téméraires frissonnent de l’abandon des poètes accrocs à internet.

Un tout jeune garçon multicolore s’est assis à côté de moi. Pas plus de huit ans, sans doute. Il s’est retiré une botte, la gauche, puis l’a collée, grande ouverte, contre son oreille droite.

Devant cet étrange comportement, je l’interpelle doucement

– Hé bien mon garçon, que fais-tu ?

– Chut, me répond l’enfant, j’écoute le bruit de la terre. Son chant est si faible, le souffle d’une mourante.