Il pleut. Il pleut des cordes et même les oiseaux ne peuvent s’y pendre, terrés qu’ils sont dans les arbres de Plainpalais ou des Bastions ou ailleurs en ville. Il pleut et la ville se décline dans toutes les nuances de gris.
Du gris acier au gris trompeur de quelques fleurs qui cherchent à picorer d’incertaines poussières de soleil. Il pleut depuis 40 jours et le déluge n’a pas eu lieu sauf dans les nids des moineaux qui portent le deuil. Il pleut sur Genève et les gens sont pressés sous le regard avide des terrasses vides. Les chaises ont un air penaud, toutes mouillées et les fauteuils d’osier qui se veulent festifs tendent leurs bras ridicules. On dirait et c’est un comble, qu’ils font la manche. De plus, quoi de plus stupide qu’une terrasse sous la pluie ? Seul, le lac rit à grande gorge de ces petites morsures sur sa peau et de ce vent qui lui fouette le visage. Le Rhône, lui il rit jaune, chargé comme un âne de toutes les alluvions et détritus et branches d’arbres. Et l’Arve se traîne une besace pas moins lourde. Les rats vont remonter en ville et foutre la trouille aux jeunes filles. Il pleut sur Genève d’une eau qui ne lave rien mais rend glissantes les merdes de chiens. Dans les sous-bois, les morilles pointent une tête de chancre mou vers le ciel, ce qui ne l’incite pas à se déshabiller de sa robe grise. Les enfants s’amusent à sauter dans les flaques d’eau sous l’œil gris réprobateur de vieilles personnes qui ne se souviennent plus qu’elles fussent, un jour, de jeunes enfants aussi. Et il y a une belle collection de parapluies qui se promène comme une armée de bric et de broc, une armée mexicaine en déroute. Il pleut une pluie muette et des gouttes sont comme des larmes qui glissent lentement sur les vitres d’un amour brisé. Il pleut et plusieurs protègent plus leurs natels que leurs têtes. Et dans les rues humides l’ombre des réverbèrent s’égouttent sur les murs. Un peu de brume parfois s’élève du sol, un mirage sans doute puisqu’on voit un magnifique trois mats s’éloigner sur le caniveau. Des gouttières crachent leur flotte à gros bouillons comme des artères sectionnées. Il pleut sur Genève et les Réformateurs s’en foutent pas mal si ce n’est les crottes de pigeons qui s’étalent et prennent leurs aises sur les augustes faces. On ose imaginer la Réforme en temps de pluie et ces hommes en noirs avec leurs visages gris et les pensées grises, le gris de la ville. Et seul un bûcher d’une sorcière pour illuminer la vie et lui donner des couleurs. De nos jours nous ne grillons que côtelettes et chipolatas mais les bbq sont au chômage technique. Ce qui fait l’affaire des cochons qui, avec ce sursis peuvent profiter d’un bon bain de boue bien dégueulasse. Remarquez la boue est à la mode chez ces dames pour se nettoyer la peau. Il y a belle lurette que les cochons le savaient mais on ne leur demande rien à part leurs ribs, bien sûr. Il pleut sur Genève comme un vieux blues échappé d’un bar qui balade ses notes sur un trottoir.
Salut