Le ciel s’est dessiné à la mine de plomb, artiste solitaire qui rangerait ses costumes colorés et poursuivrait son chemin vers un avenir incertain. Genève ne se plaît pas à elle -même sous la pluie. Elle se referme, telle une fleur trahie. De ses murs dégoulinent des larmes sales de pierres noircies par le flot incessant des voitures qui labourent la ville en tout sens et la repeignent de cette couleur cancer aux reflets incurables. Les arbres se plantent tous nus au milieu de tapis de feuilles en décomposition marron jaune. Certaines ne sont plus que des squelettes aux fines nervures qui tremblent, miroirs sans tain de leurs vertes jeunesses, petites dentelles inutiles des napperons d’une limonade en fin d’été.

L’automne venu, Genève se démaquille, enlève ses cuissardes racoleuses, change sa mini-jupe contre son costume quotidien en talons plats. Et dans son lit de béton, le jet d’eau revoit à la baisse ses prétentions éjaculatoires. Pluie fine, paysage de la ville en code barre, petit vent vicieux s’engouffre dans les dernières fenêtres entrouvertes. La ville est huileuse comme une toile non sèche et les gens deviennent rapeux à l’haleine de fromage des fondues du soir. Des crêches sortent les poussettes à huit places toutes encapuchonnées, minuscule caravane poussée par des jeunes femmes aux visages brouillés, aux dos bossus de sacs à dos, les nouveaux dromadaires à deux pattes de nos rues. Mirage, mirage, mirage que ces huit bambins qui s’estomperont sur le long chemin de la vie. Mais maintenant ils conversent entre eux de ces mots qu’eux seuls comprennent. Savent-ils que cette intimité de paroles, mélange de sons désarticulés et de petis gâteaux, sera le seul de toute leur vie ?

Au dessus de la ville, il y a parfois un haut soleil blafard comme un vieux spot qui balance un regard pâle et aucune ombre n’accompagne le passant. Il fait froid, de ce froid sans neige, de ce froid sans intérêt, de ce froid qui fait frissoner les os. Et l’humidité rouille les sentiments et les dealers tapent du pied. La pluie n’est pas bonne vendeuse pour le petit commerce des rues. Le marché aux puces s’est transformé en camps de réfugiés pour vieilleries sans importance, ni vieilles aussi.

Dans les rues marchandes, les lumières des boutiques se prennent d’importance, rosaires à facettes lumineuses des temps modernes qu’on égrenne à chaque porte franchie, non sans secouer son parapluie, dehord pour les uns, dedans pour les autres mais toujours sans s’occuper du voisin et jamais sans poser dans le porte-parapluie pour ne pas se le faire emprunter. Il faudrait que la librairie soit moins prétentieuse de ses vendeurs qui se prennent pour des livres non lus ou qu’elle vende aussi des cigarettes et des bombons pour avoir quelques clients. C’est bien triste une librairie sans personne ni porte-parapluie non plus.

Et le lac chante de cette eau bénie des cieux qui le débarasse des puces de canards. Les bateaux amarrés qui se dandelinent ont l’air stupide à se frotter les uns aux autres, sardines aux yeux morts en caisses sales et sauce gaz-oil. Des bateaux sans intelligence océane ni mémoire des îles bleues. Mais ils sont vaillants et leurs longs mats se dressent dans le brouillard, une armée de piquets, une forêt fantôme. Et quoiqu’on dise, c’est beau.

Pas aussi beau que Venise en hiver mais nous sommes à Genève, au milieu des champs et des montagnes.

Genève, comme une araignée, tisse sa toile molle de l’automne et je vais boire un café à l’abri des regards de la pluie qui n’en finit plus de tomber sur la ville. Sur les visages des grandes statues des Réformateurs, coule, verte, la merde des pigeons mais les touristes sont déjà repartis depuis longtemps.

Une araignée qui tisse sa toile molle les marrons chauds