La chasse aux sapins maintenant fermée, nous commençons à voir leurs dépouilles exposées un peu partout dans les rues de Genève. Que les Suisses, ceux qui sont encore plus Suisses que les autres Suisses, se rassurent, ils sont des sapins de la garenne suisse.

Nous avons passé Noël en caleçon, nous passerons Pâques en chaussons. Il faisait bon et doux dans ce long matin d’un ciel bleu où l’hiver joue à cache-cache avec la météo un peu stupide ces temps-ci. J’avais décidé que les trottoirs marcheraient sous mes pas, ce qui est moins fatiguant que l’inverse.

J’allais les mains au vent, le nez dans la poche à l’abri de cette petite pollution qui nous enveloppe de son grand manteau en peau de particules fines. Et puis… Un tac tac tac tac qui déchire des caricatures, puis les caricaturistes, qui hache aussi tout le journal caricaturiste puis la République monarchique de France si caricaturale. De ce matin bon et doux, ne restait plus qu’un lambeau d’insouciance et une cagoule barbue pleine de haine.

Les matins s’enchaînèrent alors dans cette logique folle, pleine de sang et de barbarie, où les noms des suppliciés s’égrenèrent, tels un chapelet monstrueux, grain à grain, goutte à goutte. Et de ce journal, Charlie Hebdo, qu’une grande majorité considérait comme un torchon, on en fit une serviette fréquentable des dîners en ville et même à sa propre table. Les pauvres en oublièrent leur précarité, les chômeurs en oublièrent leur chômage, après tout, pour être cynique, il venait de se libérer quelques places de travail. Et le Président à la ramasse se redressa, statue du commandeur à la laïcité bandée, tête haute et pieds dans la mouise.

La chasse aux humains maintenant rouverte, nous recommençons à revoir leurs dépouilles exposées un peu partout sur les routes du monde.

Plein de petits tac tac tac et de gros boum boum, la musique de cette nouvelle année est d’un ennui mortel. Et il n’y a même pas de neige pour amortir ces sons lugubres. On accuse le nord de construire des murs qui les protègent du sud mais ils ne sont pas anti-balles, loin de là. Alors on se retrouve avec des conflits religieux d’un autre âge. Comme si l’espace-temps s’était figé dans certains pays.

Comme si des hommes s’étaient recreusés des cavernes dans leurs têtes pour s’abriter d’une évolution qui les dérange. Surtout des mœurs modernes, qu’ils jugent décadentes, voire amorales. Or, qu’est-ce donc que la décadence pour ces hommes-là, sinon la place pleine et entière de la femme dans la société. La Femme, le diable disait St Paul. La Femme dont la place est à la maison, écrivait Rousseau. Ce n’est pas nouveau, ni imputable à une seule religion ou à une seule philosophie. Mais, le temps fit son œuvre, les Femmes se battirent pour leurs droits et les sociétés modernes trouvèrent enfin leur équilibre. Et de St Paul, et de Rousseau, nous gardâmes que le meilleur. Comme si l’espace-temps s’était perdu dans certains pays et que nous devions en payer le prix. Le prix du sang.

La chasse aux mies de pain des oiseaux frigorifiés, affamés, ce combat quotidien pour la survie, passer l’hiver pour revoir le soleil une dernière fois, sentir sa chaleur, perchés sur les hautes branches et s’envoler libres, mâles et femelles mélangés. Nous disons les Oiseaux quand nous décrivons cette espèce animale. Nous disons les Hommes quand nous évoquons l’espèce humaine. Nous disons les Hommes comme une généralité bien établie et bien entendue. Et nous avons tort, nous devrions dire, les Femmes et les Hommes, pour désigner l’espèce humaine. A suivre…

Jean-Yves le Garrec