Il fait un temps à ne pas mettre un homme dehors, pensa le chien, recroquevillé dans sa couche. Et il avait raison, mon regard se pendit alors dans des cordes d’eau froide, ce n’était pas le déluge, loin de là, juste un truc qu’on avait oublié, la pluie. Enfin, la pluie en hiver ! Parce qu’en hiver, on attend la neige. On se prépare pour la neige, on achète des bottes fourrées et poilues, des doudounes doudouillettes, des bonnets de laine cachemirisée, et pan, c’est de la flotte qui dégringole des cieux impénétrables, et paf, mon scoop est raté, de gros cons de flocons cons, tombent soudainement en abondante ironie. Comme si le réchauffement climatique avait des ratés, qu’il ne tenait pas ses promesses.
Bien sûr, dans des lendemains lointains, là où vous voyez de formidables sapins enneigés, il s’engage à faire venir des palmiers, surpris, sans doute, de se retrouver émigrés contre leur gré. Que va donc penser un palmier dans des pentes montagneuses, sans mer de sable à ses pieds, à compter quelques rares chamois, drôles d’animaux à cornes et sans bosses ? A quoi va t-il rêver aux pieds d’une ville qui gomme le ciel de ses lumières artificielles ? Ni pouvoir cheminer sur la Voie Lactée, les palmes dans les poches. Mais je me demande si le terme émigré est bien choisi.
Voyez-vous, nous vivons une époque follement sémantique. Maintenant chaque problème apporte avec lui sa propre parole. Qu’un appartement ayant servi de base arrière à un commando terroriste soit découvert, il devient de facto un appartement conspiratif. De même, nous ne parlons plus d’émigrés ou d’immigrés, nous parlons de migrants, puis de migrants économiques et enfin de réfugiés. Parce, comprenez bien, il faut distinguer chaque humain par sa catégorie, chaque catégorie obéissant à une définition stricte. Emigrés et immigrés sont trop porteurs d’images péjoratives et renvoient souvent à un passé douloureux, donc soyons moderne, vive le migrant.
Le migrant est souvent flou, on ne sait s’il vient pour se sauver de situations souvent mortelles ou seulement pour des raisons strictement de pauvreté extrême. Donc il a fallu trouver un autre mot, pour bien différencier l’humain qui se présente, le diviser en deux, le couper en quatre, comme un cheveu sale sur notre soupe. Alors dans un soucis de générosité, de grande bonté, l’humain, ou ce qu’il en reste, devient soit un réfugié, soit un migrant économique. Le réfugié fuit la guerre et ses horreurs, le migrant économique fuit la misère et ses horreurs. D’où, une deuxième différenciation, entre l’horreur et l’horreur, une grande et une petite, en quelque sorte. Une qui suscite l’empathie, une qui éveille la méfiance. Une à qui on donnerait notre pain, une qui viendrait nous le voler. Et si nous sommes d’accord de diviser l’humain, nous nous refusons à diviser notre pain.
Donc, l’humain réfugié, trouvera porte ouverte, gîte et couvert, l’humain migrant économique, trouvera porte close, un petit repas, une bouteille d’eau et bye bye, à jamais. Et l’Europe de s’applaudir sur ses deux oreilles, si fière de sa grande trouvaille sémantique. Pourtant, je crois que l’humain coupé nous fait perdre notre humanité. Parce que le réfugié a peur et a faim et le migrant économique a faim et a peur, point barre.
Si j’étais mauvaise langue perfide et sarcastique et je le suis, je ferais remarquer que le réfugié n’est que de passage, le temps que son pays s’appaise, et ne devrait pas, normalement, s’intégrer ou être intégré, apprendre la langue, trouver un job, puisqu’il a vocation à repartir. Tandis que le migrant économique, lui, vient pour s’intégrer, apprendre la langue et trouver un job, puisqu’il a vocation à rester. Donc logiquement, on devrait recevoir les deux et recoller l’humain pour acceuillir l’homme dans son entier. Nous sommes 500 millions d’européens alors un ou deux millions de plus, même chaque année, c’est peanuts, comme ironiserait un financier. Justement, mais à suivre…