Tiens, chiche ! Je vous emmène observer un phénomène qui a lieu une fois l’an. En début d’année, quand elle est encore tendre, verte, jeune pousse pleine de bonnes résolutions. Je vous emmène du côté de Champel.
Chemin des crêts de Champel, Route de Champel, Plateau de Champel, Champel pour tout le monde, millésimé, bien sûr. Pourquoi Champel ? C’est vrai dans d’autres quartiers, nous pouvons observer la même chose mais j’y étais en balade ce jour-là dans ce quartier. Il faisait un froid, à pierre fendre, à chien geindre, à canards pattes prises dans la glace violemment formée en quelques minutes. Ils battent leurs ailes d’impuissance à grands cris aigus. Piégés. On imagine la Grande Faucheuse faire sa moisson des bestioles qui s’envoleraient faire un dernier voyage et leurs pieds palmés restés bloqués dans la glace, bougies à l’envers, grotesques fanions pourrissants. L’ultime migration vers le Paradis des canards. Mais revenons chez Champel. Oh, vous l’avez sûrement aperçue ! L’armée des générals morts. Ils sont là, bien alignés sur le trottoir, presque timides. Ils ont la tête basse de ceux qui après avoir brillés de mille feux se retrouvent tout nu, dans la rue. Chassés des chaudes maisons, des douillets appartements, ils gardent un semblant de dignité. De leurs médailles multicolores, de leurs guirlandes dorées, ils ont été dégradés. Des cris de joie des enfants émerveillés qui les ont découverts tous chamarrés, il ne reste qu’un vieux chien qui leur pisse dessus dans ce triste matin d’hiver. De cette ultime bataille, ne subsiste que le déshonneur du camion poubelle qui les emportera au cimetière des morts encombrants, ennuyeux. La fosse commune, les croix de bois anonymes, indigents, avant de les cramer et les cendres jetées aux quatre vents de l’oubli. Tromperie des temps nouveaux, des temps modernes, des temps insolents, cette parade en grande tenue aura été leur chant du cygne.
Bah ! Dans 360 jours, d’autres frères d’arme seront à la fête, dans ce grand massacre inutile des forêts pour notre bon plaisir de les avoir dans nos si chaudes maisons, nos si douillets appartements.