Sur la plaine, hantée par une chaleur aux chaînes tenaces, les vaches sombres du Val d’Hérens sous un soleil d’airain. Elles avancent au son de leurs lourdes cloches, pénitentes en chemin vers la gloire sans qu’on sache vraiment si elles en ont conscience. Certaines ont des robes d’un noir profond, lumineux.
D’autres sont d’un marron lustré patiné comme un meuble de vieille famille qu’on entretient pieusement dans la légendes des mannes ancestrales. Et toutes sont massives et dégagent une puissance tranquille taillée dans le bronze des Dieux de l’Olympe. Les lourdes cloches sont tenues par de larges ceintures en cuir, ceinture de force des lutteurs de foire. Chacune sur leurs flancs musclés porte un numéro peint en blanc. Les cornes sont parfois épointées.
L’arène où elles vont se combatre est couverte de sable et des gradins tout autours. Une foule enthousiaste fond sous le soleil impitoyable en une clameur bon enfant quand les stars entrent dans l’enclos, accompagnées par leurs propriétaires entraîneurs. Vache contre vache, toutes les deux seules dans l’arène. Il ne manque que la musique d’Enio Moricone pour soutenir cette dramaturgie païenne très western lent, si lent…
Les deux vaches se jaugent mais du coin de l’œil, un peu par en dessous, mine de rien. Elles grattent la terre violement, soulevant la poussière sèche comme les taureaux de combat le font devant le toréador. Et puis… et puis on a l’impression que l’une pense, mais qu’elle est moche cette grosse vache en plus elle pue et l’autre non, j’y crois pas, elle va pas oser quand même, si, elle chie, la dégueulasse que voilà… Ah, c’est du grand spectacle naturel !
Et elles se regardent toujours sans vraiment le faire, une hume le vent, l’autre tête basse fait celle qui ne voit rien, cela peut durer de longues minutes et soudainement, une fonce et l’autre se sauve en criant, mais elle est malade celle là. C’est fini, en 15 secondes, le combat est fini. L’une a gagné, l’autre qui s’est barrée vite fait a perdu. Pas de sang, pas de blessées, les clameurs de la foule en délire et de grands coups de cloches ponctuent la scène.