Au parc des Bastions, il y avait une petite estrade qui permettait à tout un chacun de s’exprimer. Comme dans certains parcs anglais. Je me suis assis, en face, sur un banc, seul lien publique entre solitude et isolement.

J’attends. Je me suis recouvert la tête d’un voile, les yeux d’un fin treillis et j’ai pleuré des larmes afghanes. Des larmes d’une terre où les anges furent déracinés. Des larmes de sang. D’un sang trop noir pour abreuver un soleil heureux. Des larmes de peur. De cette peur aride qui sèche l’âme. Des larmes d’impuissance fatale et parfois si commodes.

Que voient les yeux quand le regard est grillagé ? Quel amour peut-on bercer quand le cœur n’est qu’un long suicide et le corps écartelé aux vents de la souillure violente de l’homme triomphateur ? Est-il vrai que, dans notre monde, nous entendons mieux les voix des statues de pierre que celles des statues de chair ? Est-il vrai que ces tas de chiffons sont des femmes ? Quel est donc cet homme qui pille et rançonne l’existence de sa femme, de sa fille, de sa mère, de sa sœur ? Est-il un fier guerrier ? Est-il un noble montagnard ou un modeste pasteur qui protège avec tant d’attention ses moutons ? Est-il un homme ancien, cette belle figure aux traits taillés droits par le souffle dur des montagnes sans faiblesse ni pitié ? Un héros qui marche, debout, dans les éléments déchaînés et qui disparaît aussi subitement qu’il était apparu ? Est-il un homme nouveau ? Un homme qui s’abîme en prières ? Un homme rondouillard et souriant ? Qui dans dix ans nous accueillera, touristes, venus photographier ces petits marabouts bleus qui bougent. Un futur copain, quoi !

Un homme s’est emparé de l’estrade et s’est lancé dans une vaste parole sur le viol de masse des enfants d’Asie.

Je me suis enlevé mes oripeaux et j’ai fait ce que tout homme fait. Je suis parti boire une bière et lire le journal à la page météo.

Salut