Chronique de Jean-Yve Le Garrec sur le Salon du Livre…
Ah ! Sacré salon du livre, à peine a-t-il ouvert ses portes que déjà elles sont refermées. Une petite parenthèse culturelle après la grande messe des voitures, mais il ne s’agit pas de rivaliser. Quoique… Les voitures ne sont-elles pas vendues maintenant avec un bouquin aussi gros qu’un volume de la Pléiade. Et ce bouquin sera peut-être la seule lecture de beaucoup, mais, ils peuvent en même temps, apprendre des langues. Ils peuvent…
Dans ce salon des livres, ils se pavanent par milliers. Ils sont habillés de belles jaquettes, certains ‘net d’un revers doré tandis que d’autres misent sur un maquillage haut en couleurs criardes. Beaucoup font le clown pour attirer les enfants qui tirent des parents qui n’en peuvent déjà plus. Certaines personnes vont et viennent, le regard tendu, l’air pénétré, la bouche en apnée, les mains faussement légères. Mais rien de volubile chez ces personnes, ce sont les dévoreurs de livres. Sont-ils lecteurs passionnés ? Non, ils avalent des livres comme d’autres des kilomètres ou des saucisses. Ils collectionnent les titres, habitent dans des maisons aux murs de livres, les uns privilégient le bel ordonnancement, par ordre alphabétiques, les autres des colonnes de livres comme un temple sacré. Ils ne fréquentent que les allées sérieuses, les bonnes maisons et sont d’une condescendance onctueuse. Et puis, nous croisons des chasseurs d’autographes, qui ne liront que l’autographe, qui spéculent sur l’autographe, des trophées, comme tout bon chasseur aime à exhiber, sur sa cheminée au faux feu, sur sa table de chevet pour le regarder amoureusement, point de le lire, quelle idée incongrue ! Ils savent le résumé et surtout le pédigrée de l’auteur. Avez-vous déjà senti un livre ? Une vieille édition se hume. Elle se feuillette le nez dedans. Ces pages découpées au coupe-papier, parfois, tranchées net, parfois, désordonnées, comme un coup de scie qui dentelle les extrémités des pages. Ces vénérables pages, jaunies, brunies, qui n’ont connu que la sueur des hommes, le cliquetis des machines, les lettres de plomb. Oui, un vieux livre se hume, il a souvent l’odeur d’un whisky hors d’âge au fond de vos mains ou d’un cognac qui a perdu sa date de baptême depuis bien des pleines lunes.
Savez-vous que les livres weekendisent aussi. Enfin, ils ne weekendisent rien surtout ou si peu. Ils trainent en robe de chambre ou regardent par la fenêtre. Ils se promènent nus, les mots posés dans un coin. Quelques-uns reposent leur ossature rouillée de vieux bouquins ou bien, ils font quelques exercices pour se détendre d’être toujours dans la même position. Débout et perclus de crampes. D’autres s’isolent, ils n’en peuvent plus de cette promiscuité avec n’importe quel écrivaillons à la mode. Certains ont le cuir si épais, qu’ils ne peuvent que geindre de ce surpoids qui les empêche de marcher et faire admirer, comme à la parade, dorures et lettres gaufrées. Un espiègle s’est noué le signet rouge autour du front et fume un bout d’herbe trouvé dans un cendrier froid. Une fois, il m’en souvient, un livre de poésie voulu si ardemment déclarer sa flamme à une jouvencelle série rose qu’il mît le feu à la bibliothèque et se consuma entièrement et tous les autres livres aussi. Parfois, du bout des livres, les mots se chuchotent de petites histoires, dans la douceur propice d’une lumière tamisée. Car les livres sont plein de mots. Et il est inutile de vouloir retirer les mots de la bouche des livres.
A suivre…
Jean-Yves Le Garrec.