Depuis peu ou depuis toujours, Genève enfile sa tenue à trous. Son joli manteau percé et ainsi mieux tendre la main aux impôts nouveaux pour encore plus de trous. Un cercle plus ou moins vicieux, la ville nourrit ses trous et les trous abreuvent ‘gueil de ses dirigeants. Car une ville sans trous est une ville qui s’enterre, voyez donc ce paradoxe tout en humeur courtoise. Tenez, juste sous mes fenêtres, sur la plaine de Plainpalais, quelques arbres furent abattus. Comme ça, sans sommations. S’en suivit, des trous. Mais ceux-là, furent vite comblés, une honte, sans doute à cacher d’urgence. Il en reste des rectangles en terre claire, tombes anonymes pour arbres connus. Et il en résulte une cassure profonde dans ‘donnancement régulier de cette ligne de front d’arbres vaillants, un trou dans le paysage, un de plus. Et puis, chemin faisant, des trous carrés ou rectangulaires de section accompagnent les parallèles des rails ouvragés sur lesquels glissent bruyamment les trams. Rails qui reposent, faute de mieux sur des bouts de bois. Autours de ces trous, s’affairent une petite troupe, suante, en plein cagnard, aux reflets en bandes jaunes, au milieu des passants, au milieu des trams roulants, au milieu des trous sous l’œil glauque d’une pelleteuse et son sourire aux dents cariées. Et les gens trouvent ces trous dangereux pour les gens qui y travaillent. Enfin, pas beaucoup de gens. Parce que nous avons pris l’habitude de ces trous qui poussent chaque année. Tenez, dans les rues basses, le Crédit Suisse et l’U.B.S. Ces banques qui, il y a peu étaient des gouffres, sont devenus de simples trous crevés. Oh, bien sûr, ils sont cachés derrière les murs qui eux sont toujours debout. Ces grandes banques que d’aucun aimerait démanteler, elles sont désossées à Genève. Il n’en reste que la peau. Mais la belle affaire, la jolie trouvaille, le trou ultime, le Graal de nos urbanistes-onanistes, c’est celui du Ceva. Plutôt ceux du Ceva. Trous qui engloutissent des sommes folles qui se dépassent d’année en année, pour y faire circuler une espèce de ver de terre en ferraille peinte. Ce sont des trous impolis qui font un boucan infernal, en continu, un bruit de chasse d’eau qui ne s’arrête jamais. Des trous gigantesques dont un a mangé une gare. Une petite gare sympa, trop sympa peut être. A Genève on veut des résultats qui se voient, on veut des résoltrous, on veut du moderne au carré, du déshumanisé ré humanisé en faux, en trompe citoyens, pas du sympa humain. On vante le bio mais on carbure à la barquette imputréscible. Le Ceva, cordon ombilical pour l’économie de la région, la grande vision de nos édiles. Cordon ombilical pour d’autres qui se fait à grands coups de rasoirs, à coups de serpes, de pioches qui parlent un langage inconnu le plus souvent, à coups de marteau-piqueur, de bétonneuses, de grues immenses. C’est un autre phénomène ça les grues. Mais nous en reparlerons.

P.S. Un trou vraiment triste c’est celui de Michel Viala. Grande gueule anticonformiste du paysage littéraire genevois. J’ai eu la chance de le rencontrer une fois, nous avions parlé poésie, enfin moi, je l’écoutais surtout. Alors j’ai envie de lui dire, en clin d’œil, no R.I.P.

P.P.S. A son mari qui lui disait que Genève était devenu sale, bruyant, en embouteillage constant, son épouse lui répondit, yes darling, it’s true !